Spa, ville pilote pour la formation d’ouvriers communaux à la rénovation


Le Vauxhall, une des plus anciennes salles de jeux d’Europe et bâtiment emblématique de l’âge d’or spadois (@ydp)

C’est une opportunité à saisir pour la ville d’eau et un fleuron pour les associations locales de défense du patrimoine : Spa sera ville pilote en Wallonie pour former son personnel communal à la rénovation du patrimoine. Reportage paru dans le « Soir » (Supplément Soir Immo) du jeudi 21 février.


Une première réunion de coordination a rassemblé vendredi dernier un membre du cabinet de la ministre Valérie de Bue en charge notamment du patrimoine wallon et des représentants de l’AWAP (Agence Wallonne du Patrimoine) et de la ville d’eau. Si une deuxième réunion est prévue pour affiner le projet, le principe est acquis, même si le cabinet préfère ne pas encore communiquer sur le sujet. Spa va mener dès cette année un projet-pilote de restauration.
Le principe de base est sain, même s’il fut loin d’être la norme au cours des dernières décennies dans beaucoup de villes, Bruxelles y compris : plutôt que démolir des immeubles témoins du passé, pourquoi ne pas rénover ce qui peut l’être et surtout mieux entretenir les biens publics ? Un des moyens serait de former des ouvriers communaux à différentes techniques, de la toiture au travail du bois, de la pierre et d’autres matières premières afin de les sensibiliser à la défense du patrimoine tout en leur permettant d’acquérir et de transmettre des métiers valorisants. « Ces cours existent depuis 30 ans et ne sont pas très onéreux, rappelle Ariane Fradcourt, Directrice de la Formation des Métiers du Patrimoine à l’AWAP et en charge notamment du centre de La Paix-Dieu à Amay, mais aucune ville wallonne n’avait encore pris une telle initiative allant dans le sens du développement durable qui est enfin à l’ordre du jour. Nous souhaitons travailler en co-construction avec les autres acteurs de ce projet et en soutien de la ville de Spa à sa candidature à l’UNESCO ».
« La rénovation s’inscrit dans une démarche culturelle, citoyenne et écologique »
Aujourd’hui encore, le choix de remplacer plutôt que de rénover apparaît souvent moins onéreux, y compris pour des administrations publiques qui obtiennent plus facilement des subsides couvrant jusqu’à la quasi-totalité des coûts. La rénovation et l’entretien d’immeubles s’inscrit donc dans une démarche plus complexe, à la fois culturelle, citoyenne et écologique.
A Spa aussi, on a sacrifié des symboles du patrimoine local tels que le pavillon anglican, les Heures Claires ou, très récemment, un petit hôtel de caractère. Des associations mènent d’ailleurs face aux édiles locaux un ultime combat pour tenter de sauver à Balmoral « l’hôtel du Golf », un bel exemple de construction anglo-normande datant du début du XXe siècle. Mais entre la destruction de ce bien laissé à l’abandon par son propriétaire hollandais (le groupe Bever Holding) puis incendié dans des circonstances non élucidées, et la préservation au moins de sa façade avant, la différence de coût est sensible.
D’où l’intérêt de cette nouvelle approche patrimoniale initiée par un artisan spadois (lire par ailleurs) et accueillie favorablement par la ministre de Bue et les responsables politiques locaux : « cela fait quelques années qu’on essaye d’avoir des ouvriers locaux spécialisés, confirme Paul Mathy, l’échevin spadois en charge du patrimoine, et on vient par exemple d’engager un deuxième couvreur car nous avons beaucoup de toitures à surveiller et à entretenir. Mieux vaut intervenir à temps pour éviter de gros investissements ultérieurs ».
Reste à concrétiser sous peu ce projet sur le terrain et surtout à l’évaluer dans un an avec l’espoir de l’étendre à d’autres villes wallonnes.

Selon Paul Mordan, artisan spadois très impliqué dans la rénovation, «si on veut valoriser le patrimoine et le faire reconnaître par l’UNESCO, il faut aussi l’entretenir » (@ydp)

Des anciens châssis de fenêtre dans un nouvel hôtel 4*

C’est une victoire symbolique pour Paul Mordan, initiateur du projet pilote décrit par ailleurs et artisan très impliqué avec d’autres Spadois dans la défense du patrimoine local : en tant qu’ébéniste-menuisier, il a convaincu les promoteurs et architectes de l’ hôtel 4* qui occupera bientôt l’ancien centre thermal de conserver les châssis de fenêtre existants. « Cela fait 20 ans que je me bats pour préserver les menuiseries plutôt que les remplacer par des matières plastiques. Bien sûr, les techniques ont évolué depuis 100 ans, tout comme la qualité des verres et des colles qui permettent d’obtenir une isolation très correcte à un prix raisonnable tout en préservant de beaux matériaux. Car tout le monde n’habite pas à côté d’un aéroport, ce que tentent de faire croire des vendeurs qui ne sont pas des artisans. »

Les intérêts de l’ébéniste au look d’artiste ne se limitent pas à son domaine de prédilection qu’il exerce en Belgique ou dans des stages de formation à l’étranger. Son combat citoyen se veut plus large. « Nous nous réunissons régulièrement avec quelques associations pour confronter nos idées sur la défense du patrimoine local. On s’est mobilisé en son temps pour empêcher la construction d’une route de contournement qui aurait sacrifié la forêt du Staneux sur les hauteurs de Spa. Il y a 13 ans, après avoir visité Baden Baden, j’ai convaincu quelques amis de se lancer dans un projet de reconnaissance du patrimoine spadois et d’autres villes d’eaux par l’UNESCO. A l’époque, un incendie avait détruit plusieurs maisons au centre de la ville et on craignait de voir reconstruire n’importe quoi. » 

« Si on veut faire reconnaître le patrimoine, il faut aussi l’entretenir »

Le projet de ville-pilote pour la formation d’ouvriers communaux aux techniques de rénovation et d’entretien s’inscrit dans une suite logique. « Si on veut valoriser le patrimoine et le faire reconnaître par l’UNESCO, il faut aussi l’entretenir. Il y 10 ans, Spa a fait rénover aux frais de la Région Wallonne le « Vauxhall » (une des plus anciennes salles de jeux d’Europe et un témoin de l’âge d’or spadois) mais depuis, le bâtiment ne cesse de se dégrader. Pourquoi ne pas le maintenir en état avec l’aide d’ouvriers formés à la Paix Dieu ? Tout en évitant de gaspiller les deniers publics, on redonnerait un sens à des métiers dévalorisés par les écoles techniques qui forment des chevaux de trait pour alimenter des usines et la construction en grande série. Cet apprentissage n’a aucun lien avec le travail d’un artisan. »

Intarissable sur ce projet et d’autres, y compris transfrontaliers, Paul Mordan s’est lancé dans la politique locale pour défendre ses idées. Avec son parti Alternative Plus, il est un peu le poil à gratter de la majorité en place même s’il préférerait « qu’on se retrouve autour d’une même table car la défense du patrimoine concerne tous les citoyens. Lors des journées qui lui sont consacrées, les visiteurs à qui on explique comment a été conçue une façade, une toiture ou un balcon n’ont plus ensuite le même regard sur leur ville. »

A certains égards, la situation sanitaire actuelle serait ainsi une aubaine : « le Covid 19 a revalorisé certains métiers et les artisans capables de s’exprimer dans la maîtrise des matières premières, comme le compagnonnage à d’autres époques. Je ne suis pas surpris de voir davantage de cadres quitter le domaine de la finance pour ouvrir une boulangerie ou lancer un vignoble. »

« Cela fait 20 ans que je me bats pour préserver les menuiseries plutôt que les remplacer par des matières plastiques. » (@ydp)

 


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