Une femme en cours du soir de mécanique et de carrosserie à Namur


Marianne Virlée: « l’idée de suivre des cours de mécanique m’est venue quand j’en ai eu assez de voir des garagistes considérer les femmes comme des idiotes ». (Photos ydp)

On peut être femme, épouse, mère, journaliste au service culturel de la RTBF et suivre des cours du soir en carrosserie. La preuve par Marianne Virlée.

« L’idée de suivre des cours de mécanique m’est venue quand j’en ai eu assez de voir des garagistes considérer les femmes comme des idiotes ». Sans ambages, Marianne Virlée plante le décor alors que nous préparons brièvement dans un bistro en bord de Meuse ma soirée à l’IEPSCF (Ecole de promotion sociale) qu’on appelle ici Namur-cadets.

Cette école est la plus grande du genre en Wallonie et, rien qu’en cours du soir, elle accueille 3.600 élèves formés par 160 professeurs. Les sections mécanique et tôlerie-carrosserie pour voitures anciennes créées il y a 5 ans y font figure de petit poucet avec quelques dizaines d’élèves dont 15 se retrouvent trois fois par semaine (lundi, mardi et jeudi) de 18 à 21 h. pour un cycle de deux ans en carrosserie.

-« J’ai découvert dans un journal la création de ce cours et je me suis dit que c’était l’occasion de me lancer. J’ai toujours aimé la mécanique et je bricole sur ma Citroën  2 CV achetée neuve en 1987, une voiture devenue entre-temps un ancêtre.  Il n’y a que moi qui la conduis et je peux changer les bougies, résoudre un problème de pompe à essence ou la siphonner au démarrage. Mais je veux être capable de réaliser tous les travaux d’entretien. »

Cela se passe très bien avec nos collègues masculins

Le soir de notre rendez-vous, notre interlocutrice originaire de Rhisnes, sur les hauteurs de Namur, arrivait des studios de la RTBF à Charleroi. Car la mécanique est bien un hobby pour cette diplômée en droit qui a également suivi une formation à l’IHECS (Institut des Hautes Etudes Communications Sociales) et même suivi des cours de photos : « à cette époque, je m’intéressais déjà aux sports mécaniques et mon premier stage de journaliste s’est déroulé au Tour de Belgique Tout Terrain. Depuis, j’ai parcouru en radio puis en télévision pendant 30 ans à peu toutes les émissions de la RTBF après avoir débuté dans la section nature-environnement : La Clé des Champs, Le Jardin Extraordinaire, Devoirs d’Enquête, C’est du Belge, Livrés à Domicile…

Aucune activité professionnelle dans le secteur automobile ? « J’ai lancé l’une ou l’autre perche mais sans succès à ce jour. »

Retour à l’IEPSCF à Namur en section carrosserie et tôlerie. En tant que seule femme ? « Nous sommes deux et cela se passe très bien avec nos collègues masculins. Il y a bien eu quelques sourires au début mais, depuis, les relations sont excellentes et nous sommes tous copains, motivés par la même passion. »

Démonstration pratique à l’entrée du hangar où les élèves attendent leur professeur. La plaisanterie du jour est de savoir qui, lors du dernier cours, a un peu trop tiré sur une ventouse en débosselant une Opel Corsa, provoquant deux petits trous. Au moment où les portes s’ouvrent, Roland, Vincent, Alain, Patrick, Jean-Marie, Pierre-Yves dit Cornetto et les autres se dirigent vers les quatre coins de l’atelier : les uns sont venus avec leur voiture, un autre a amené une des pièces de la Saab qu’il restaure chez lui depuis des années, un troisième se dirige vers sa Volvo complètement désossée. Il faut aussi sortir de la cabine de peinture un beau cabriolet BMW M6 en cours de finition.

Je ne prétends pas devenir mécanicienne ou carrossier

Christophe Malherbe circule à gauche et à droite pour dispenser ses conseils et Marianne Virlée, après avoir enfilé salopette et gants, entame le ponçage à la main de la BMW sous le regard un brin moqueur du professeur face au photographe : « je ne prétends pas devenir mécanicienne ou carrossier mais cette formation devrait me permettre de réaliser des travaux que je n’aurais pas osé faire auparavant ». L’élève montre les pièces de la BMW qu’elle a peintes ou lève le coin d’une bâche pour apercevoir le carburateur d’une VW Coccinelle qu’elle est fière d’avoir démonté puis remonté.

« J’ai d’abord suivi une année de mécanique que j’ai redoublée volontairement. Mon mari m’a offert deux livres de la collection Gazolines consacrés à la restauration d’une 2CV. Ils sont géniaux mais ne remplacent pas les conseils d’un professeur. Ici, on apprend un peu de théorie mais surtout beaucoup de pratique. Après une année de mécanique, on peut changer des plaquettes ou des disques de freins ou même sortir un moteur comme on l’a fait pour la Coccinelle. Et on prend des photos pour suivre l’évolution du travail. Inscrite en carrosserie depuis l’an dernier, je peux débosseler une carrosserie, découper une pièce abîmée, souder à l’arc un nouveau morceau de tôle, mettre les couches successives de mastic ou boucher de petits trous en faisant couler de l’étain goutte à goutte. J’aime beaucoup le sablage : dans un cube en plastique bricolé par nous, on projette du sable fin ou des scories et on voit la pièce revenir progressivement à l’état neuf. »

A quoi tout cela va-t-il servir ? « Après 4 ans, je souhaiterais encore poursuivre l’apprentissage. Et je cherche un ancien Van Volkswagen T1, le véhicule « peace and love » par excellence, pour le restaurer. Encore faut-il trouver un garage ou une grange pour le stocker, ou convaincre mon mari de laisser sa voiture dehors ».

Des « élèves » réunis par un hobby

Au rythme des forages, des coups de marteau ou du grésillement des fers à souder, l’atmosphère est logiquement un peu bruyante. Mais à l’image d’un chauffage efficace à cette période froide et pluvieuse de la mi-décembre, l’ambiance est chaleureuse entre des « élèves » unis par un même hobby, pas vraiment jeunes dans l’ensemble et dont peu, voire aucun, envisagent une carrière dans la mécanique ou la réparation de voitures anciennes. C’est plutôt le désir de profiter des conseils et du matériel de l’école qui les incitent à passer ici quelques soirées par semaine. Et aucun ne semble a priori vouloir interrompre sa « scolarité ». De quoi faire rêver tous les professeurs de l’enseignement technique face à des jeunes élèves en quête d’un métier mais rarement aussi motivés. Et si quelques-uns rejoignaient les adultes qui nous ont accueilli ce soir-là ? Le goût de la mécanique et du travail bien fait, voire la passion, sont transmissibles.

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Christophe Malherbe.

 

 

Christophe Malherbe : « Il existe une demande énorme pour la restauration d’ancêtres »

Deux formations sont proposées en cours du soir à l’IEPSCF Namur Cadets aux élèves de la section mécanique et tôlerie-carrosserie pour voitures anciennes (1) :  un an de mécanique à raison d’une soirée par semaine (le mercredi ou le vendredi) au terme de laquelle ils reçoivent une attestation mais pas de diplôme ; en revanche, les deux ans de carrosserie (3 soirées par semaine) sont sanctionnés par un travail de fin d’étude et un diplôme.

De quoi s’installer comme carrossier ? Christophe Malherbe, professeur à cette école depuis 14 ans, nuance le propos : « en théorie oui, car suivant le programme, les élèves peuvent effectivement démonter et remonter un parechoc, une portière ou un coffre. S’il s’agit de faire disparaître des défauts d’une carrosserie ancienne, c’est plus délicat et il faudrait que l’école prévoie au minimum trois années, si non quatre. Disons qu’après deux ans, ils sont de super-apprentis ».

Carrossier de métier, celui que tous ses élèves appellent ici par son prénom a travaillé trois ans chez BMW et deux ans et demi chez Audi. Pour motiver ses élèves, il leur propose de réparer parfois des voitures exceptionnelles, d’où la présence de cette BMW M6 cabrio « que j’aurais pu utiliser pour mon plaisir l’été dernier mais je pense qu’elle est mieux ici. »

Comment conçoit-il ses cours ? « Ma mission est de suivre l’ordre de travail que me donne l’école. J’apprends donc ce qui doit l’être mais je demande aussi à mes élèves ce qu’ils veulent connaitre, d’autant plus qu’ils ont souvent un projet personnel. »

Un manque de motivation des jeunes

Aux yeux de Christian Malherbe qui cache difficilement une certaine amertume, il existe une énorme demande de spécialistes pour la restauration et la réparation d’ancêtres. Mais il faudrait que ceux qui optent pour cette formation professionnelle comprennent les exigences du métier. « On m’a proposé de donner cours en journée à des jeunes mais j’ai refusé. Je suis un sanguin et je ne peux pas accepter le manque de motivation de beaucoup d’entre eux, pas plus que je ne supporterais les réclamations des parents critiquant parfois violemment les enseignants plutôt que leur enfant. Quand je vois certains assis pendant des heures à ne rien faire, je leur dis merci car « grâce à eux », je suis sûr de garder mes clients. Le soir en revanche, je rencontre peu de gens qui veulent relancer une carrière – ce qui est impossible en deux ans, j’insiste- mais des participants motivés et assidus. En mécanique, seuls deux élèves sur vingt ont quitté mon cours pour des raisons personnelles et en carrosserie, ils sont toujours quinze. »

 

 

 

 

 

 

2 réflexions sur “Une femme en cours du soir de mécanique et de carrosserie à Namur

  1. Philippe Casse

    Chère Simone,
    Quelle belle idée vous avez eue de mettre en valeur la sensibilité et les talents d’une dame en matière d’automobile.
    Ma maman a reçu sa première voiture en 1957, un 4CV Renault un peu « tunée » comme on dit aujourd’hui car elle a toujours été intéressée par le sport automobile en faisant du rallye avec son mari en MG voire aussi en Standard Vanguard voire, plus surprenant encore, en Renault Frégate avec d’excellents résultats comme en témoigne par exemple une 12ème place au général d’un Tour de Belgique de 1954 particulièrement verglacé. Elle tâta même de la course de côte ! D’autres femmes s’illustrèrent en faisant usage d’une sensibilité sans doute plus fine que celle de beaucoup d’hommes. L Belge Gilberte Thirion ajouta à son charme un talent au volant, sous la pluie en particulier, qui bluffa beaucoup observateurs « mâles » aussi autorisés qu’un Paul Frère ! Bien d’autres dames s’illustrèrent dans le sport automobile voire dans l’industrie et un livre pourrait leur être consacré. Combien de femmes ne sont-elles pas ingénieurs en F1, designers voire même CEO de grandes entreprises comme celle de General Motors ? Sans compter toutes celles dont les mains aussi soigneuses qu’adroites construisent et assemblent avec talent les quelques 85 millions de voitures neuves que le monde achète bon an mal an !
    Pour revenir à ma maman et à sa 4 CV de 1957, un des premiers jours où elle roulait avec sa première voiture, il se mit à pleuvoir – normal en Belgique ! – et elle demanda à mon père où se trouvait l’interrupteur des essuie-glaces qu’il avait du faire changer de place en « améliorant » la fameuse 4 CV verte avec son cousin français.
    Mon père, ne manquant jamais d’être facétieux, lui aurait répondu : « fais trois fois le tour de la voiture à genoux et tu trouveras ! »
    Le soir même au dîner, maman nous annonça qu’elle s’était inscrite aux cours de mécanique automobile et de dépistage des pannes qu’organisait à l’époque le Royal Automobile Club de Belgique !
    Connaissez-vous, Chère Simone, beaucoup de dames d’aujourd’hui qui, comme ma maman à 94 ans maintenant, vérifient elles-mêmes les niveaux d’huile et d’eau de leur voiture voire qui mettent leur tablier et prennent un morceau de papier de verre, un pinceau et un pot de peinture pour réparer les griffes de sa vaillante petite VW Polo bleue ?
    Alors vivent les dames dans l’Automobile !
    Avec mes amitiés à vous Simone ainsi qu’à tous vos lecteurs parmi lesquels j’espère de tout coeur qu’il y ait beaucoup de lectrices.
    Philippe Casse

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